Le Petit Laboratoire

Japon, Avril 2019 : Kanman-ga-fuchi, l’abysse aux Jizô

Quand je pars en voyage, j’hésite souvent sur le matériel photo à emporter. Je le voudrais léger, pas contraignant, pour que ça ne me rappelle pas mon travail… Mais que je puisse quand même photographier dès que l’envie me prend.

Au Japon, je n’arrive pas à me séparer de mon reflex. Ce pays est trop visuel, trop fascinant. Alors je garde mon appareil, pour les moments où regarder et profiter ne me suffit plus, et où l’envie de photographier me déborde.

J’ai décidé de profiter du confinement pour vous partager 10 posts de blog, avec des images de mon dernier voyage au Japon, en avril 19. Il y a un an presque jour pour jour.

Ce sera forcément très lacunaire, parce que j’ai souvent préféré vivre la beauté plutôt que de la saisir. Mais voilà pour vous quelques uns de mes émerveillements.

Aujourd’hui, je vous parle de l’endroit qui m’a le plus bouleversée de tout le voyage. Nous empruntons tout d’abord le bus, qui nous dépose non loin du sanctuaire Toshogu. Nous regardons les flots de touristes se hâter dans cette direction. De mon côté, je sors mon fidèle google maps et nous nous mettons en route. Nous traversons des petits quartiers résidentiels mignons, qui font peu à peu place à la nature. Il fait gris, et la rivière gronde à côté de nous. Ça nous met déjà dans l’ambiance.

Au bout d’un moment, le chemin devient plus étroit et longe l’eau. Nous apercevons quelques taches rouges toutes proches. Nous sommes arrivés.

La destination du jour a plusieurs noms : l’Abysse des Jizô, le Narabi Jizô, ou encore Kanman-ga-fuchi.  Dès que nous arrivons sur place, je me sens profondément intimidée, impressionnée. Nous sommes seuls, et l’endroit est chargé de quelque chose de profondément puissant. Que l’on soit croyant ou non, c’est bouleversant.

Devant nous, jusque tout au bout du chemin, les statues de Jizô s’alignent. La légende raconte que si on essaie de les compter, on n’obtiendra jamais le même résultat à l’aller et au retour : certaines disparaissent, d’autres s’ajoutent.

En contrebas, la rivière est tumultueuse. D’autres légendes lui sont consacrées. Elle aussi participe au sacré du lieu.

Même si vous n’avez pas visité l’abysse, vous avez peut-être déjà vu des statues de Jizô au bord des chemins. On les reconnaît aux petits habits rouges dont on les orne. Ça m’a longtemps intriguée, alors un jour j’ai fait des recherches sur le sujet. Ce que j’y ai appris m’a profondément émue. Ce n’est a priori pas l’histoire la plus gaie du monde, mais elle est belle, alors j’ai décidé de vous la raconter.

Dans la religion bouddhiste, on dit que les âmes des très jeunes enfants décédés (je vous avais dit que c’était pas joyeux) se retrouvent dans des limbes, perdues entre l’enfer et le paradis. Là se trouve le fleuve des trois chemins (Sanzu-kawa), qu’il faut traverser pour atteindre le paradis. Sur ses berges vit Datsue-ba, la Vieille qui Dévêtit. Cette femme-démon confisque les vêtements des enfants. Son époux, Keneô, entreprend ensuite la pesée desdits habits pour évaluer si les âmes ont accumulé suffisamment de bonnes actions pour traverser. Sauf que, ces enfants étant morts jeunes, le compte ne peut pas y être : ils n’ont pas eu assez de temps de vie pour accumuler suffisamment de « points ». Le couple leur dit que l’autre solution pour atteindre le paradis est d’élever un très grand monticule de cailloux. Sauf que les jeux sont faussés : dès que les enfants échafaudent des tas de pierres, Datsue-ba et Keneô les détruisent ou les attaquent.
C’est là qu’intervient Jizô, représenté sur la statue. Ce bodhisattva (équivalent d’un saint) a accédé au niveau suprême de l’Eveil (il peut donc devenir Bouddha) mais il l’a refusé, tant que les enfers ne seraient pas vides. Il se donne ainsi pour mission de guider les âmes des bébés et des enfants jusqu’au paradis, et des les arracher au couple de démons en les cachant dans les plis de ses vêtements.
Je me suis souvent demandé pourquoi certaines statues des temples étaient vêtues de petits bavoirs ou bonnets rouges. En réalité, ce sont les parents endeuillés qui rendent les habits dérobés par Datsue-ba à leurs enfants. Il déposent aussi parfois de petits cailloux pour les aider à ériger leur monticule jusqu’au paradis, ou même des jouets pour adoucir l’âme de l’enfant. Certaines de ces offrandes sont quant à elles déposées par des parents reconnaissants pour la guérison d’un jeune malade, afin de remercier Jizô de sa protection et d’aider les âmes des autres enfants.

Au fur et à mesure du chemin, les statues sont de moins en moins ouvragées. Tout au bout, il ne reste plus que des tas de cailloux vêtus de rouge. Je pense au mythe qui est à l’origine de cette pratique, et je ne peux pas m’empêcher d’être profondément émue devant ces piédestaux recouverts de pierres éparses, tellement simples, tellement modestes, mais qui ont tout de même droit à leurs vêtements écarlates.

J’espère que cette visite vous aura plu et que j’aurai su faire passer à quel point elle m’a marquée. Demain, on poursuit au hasard du chemin, et on découvert un petit sanctuaire caché dans la forêt.

Oh et au fait, si ça vous a plu, il y a plein de photos du Japon sur mon site.

Cette entrée a été publiée le 13 avril 2020 à 7:52 . Elle est classée dans "Digression / - Gression !", Fonds de tiroir, Sur les routes et taguée , , , , , , , , , , , , , , , . Bookmarquez ce permalien. Suivre les commentaires de cet article par RSS.

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