Le Petit Laboratoire

Colère : nom féminin

Introduction joyeuse

Il y a quelques mois, je me suis fait agresser.

Parce que j’avais estimé que je pouvais marcher les 5 minutes qui séparent le métro de mon chez moi, à 21h, en portant une robe sous mon manteau. Et parce que j’avais osé répondre sèchement à un type qui exprimait un peu trop son désir vis-à-vis de mes jambes.

Personne n’est intervenu, bien sûr. Pas même quand il a ramassé des planches qui trainaient et me les a balancées dessus… J’ai esquivé, elles se sont fracassées sur le mur à côté de moi.

Bien sûr, j’ai interpellé un passant, je lui ai demandé d’appeler la police. Bien sûr, l’autre m’a répondu « J’ai pas peur d’aller en taule pour une pute comme toi. »

Je m’en suis sortie sauve, j’ai eu de la chance.

Quand j’ai raconté ma mésaventure sur facebook (oui, j’ai des réflexes génération Y), j’ai été éberluée par le nombre de personnes qui tombaient de haut.

Pourtant, mon histoire est banale, vécue au quotidien par des dizaines, des centaines de femmes. Parfois, l’issue est bien pire.

Quand je suis repassée le lendemain, hasard bienveillant, un graffiti ornait le mur à côté des restes de planches.

 

Le vif du sujet

Ceci était une longue digression pour vous parler d’une séance photo qui me tient très à cœur.

Depuis longtemps, je veux m’engager contre des violences et des pressions qui me révoltent. Et j’ai eu la chance d’être contactée par mon amie Laura, avec huit autres filles, pour faire partie de son association intitulée « Colère : nom féminin ». colere-nom-feminin-web-24J’ai donc bien sûr proposé de m’occuper de toute la partie photos (mais pas que).

Le but ? Grâce à des débardeurs et tote-bags à slogans, amasser des fonds à reverser à des associations qui luttent activement, principalement contre le harcèlement de rue.

L’intégralité des bénéfices va à ces acteurs de terrain.

« Colère : nom féminin » n’est donc pas une association de terrain : on ne demande pas aux gens de lutter en portant le débardeur dans l’espace public. Vous avez le droit de vous en servir comme pyjama, personne ne vous en voudra. Si le slogan punchy vous fait peur, vous pouvez vous contenter de défier votre frigo et votre lavabo, tranquille dans votre appartement.

…Puisque le moyen d’action est autre, et repose principalement sur le financement de ceux qui se battent au quotidien.

Ensuite, si vous voulez arborer fièrement le tote-bag et/ou le débardeur, libre à vous, c’est encore mieux ! Et, bonne nouvelle, nous planchons sur de nouveaux slogans, et même des modèles pour hommes.

Vous pouvez acheter tout ça ici. Joie ! colere-nom-feminin-web-43

La séance photo en elle-même

Le but de la séance était de montrer les débardeurs « en action », tout en présentant les différentes membres de l’association.

colere-nom-feminin-web-17J’ai choisi de shooter directement dans la rue, parce que c’est là que se situe le nerf de la guerre. C’est cet endroit dont nous devons prendre possession : l’espace public dont nous nous retrouvons encore trop souvent exclues.

Ceux/celles qui n’auront jamais été témoins de cette violence quotidienne qu’est le harcèlement de rue trouveront mes propos un peu extrêmes. Et pourtant…

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Il reste une poignée d’hommes, disséminés ici et là, persuadés que la femme doit être la propriété d’un homme. Son père d’abord, son mari ensuite. Qu’une femme seule dans la rue n’est pas respectable. Qu’on peut à la fois disposer d’elle comme d’un steak en self-service, et l’insulter comme la moins-que-rien qu’elle est.

Cet état de faits, nous l’avons expérimenté bien malgré nous pendant la séance photo.

colere-nom-feminin-web-8J’avais choisi la ruelle la plus calme que je connaisse, ou presque personne ne passe. C’est un joli endroit, envahi par la verdure et les façades multicolores.

Nous nous sommes installées dans un coin, en nous émerveillant sur le côté charming charming du petit passage. Nous avons sorti les paquets de gâteaux et tablettes de chocolat, en papotant joyeusement. Et j’ai commencé les photos.

colere-nom-feminin-web-39Il n’a pas fallu une demie-heure pour qu’un homme arrête sa voiture à côté de la jeune femme que je photographiais, et commence à faire des commentaires déplacés sur son physique. Elle lui a répondu d’un geste impoli, furieuse d’être réduite à un morceau de viande à disposition.

La réponse ne s’est pas fait attendre. Il s’est emporté, et pas qu’un peu : « Je me gare, je reviens et je te tabasse à mort ». Sur la banquette arrière, son fils d’environ 6 ans était assis, il écoutait calmement la conversation. Enfin, la voiture a disparu dans le garage d’un des immeubles.

La séance photo continue, mais nous sommes toutes tendues. Nous nous rassurons comme nous pouvons. « Nous sommes 10, il ne peut rien faire. Il n’a vu que quatre d’entre nous » / « Oui, mais s’il appelle ses amis ? ». On retrouve le vieux réflexe, des clés coincées dans la main, comme un poing américain.

Quelques minutes encore. Nous voyons sa tête passer par l’entrebaillement de la porte. Il compte combien nous sommes. Son fils est encore avec lui. Il renonce.

…Et moi aussi. Nous nous éloignons dans un coin du passage où il ne pourra plus nous voir. L’ambiance n’est plus à la fête du tout.

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Les photos s’enchaînent, nous retrouvons le sourire. Une fois venu mon tour, je troque mes campers bien confortables pour une paire de talons. Ça aussi, c’est un choix. Je ne porte jamais de talons au quotidien, mais je veux faire passer un message : jamais la manière dont je m’habille ne pourra justifier la moindre agression.

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Une camionnette de Velib s’arrête à côté de moi. Trois mecs à l’intérieur. Ils baissent la fenêtre, me dévisagent, gloussent et lâchent d’un ton grivois : « C’est beau une femme qui met ses chaussures, hmmmmmmm… »

Regard noir de ma part, je n’ose évidemment pas faire plus, pas après ce qui s’est passé juste avant. Ils redémarrent en matant par la fenêtre.

Alors bien sûr, non, ce n’est pas la fin du monde. Mais est-ce qu’ils auraient fait la même chose pour un mec en short qui change de chaussures ? Est-ce qu’une femme hétéro aurait eu ce réflexe ?

Nous rentrons chez moi prendre une petite pause. Les regards, sur le chemin, sont intrusifs comme des lames de couteau. Heureusement, la bonne humeur est revenue et ne se laisse pas entailler.

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Fin de la journée, nous ne sommes plus que trois. Le type dans sa voiture passe une nouvelle fois à côté de nous, il s’arrête, ouvre la fenêtre… Il cherche notre amie du regard, nous demande où elle est en des termes peu courtois. A côté de lui, sa femme est assise, et ne dit rien.

Et nous, on se demande ce qu’il va bien pouvoir lui dire, à sa femme. « J’ai sifflé une fille, je lui ai dit des trucs salaces, et du coup elle était pas contente » ?

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Bref. Cette journée aura au moins eu l’avantage de nous démontrer que notre cause est juste et réelle. Et qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire… colere-nom-feminin-web-5

Colère : nom féminin

Page facebook (où vous pourrez aussi voir l’intégralité de la séance)

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Cette entrée a été publiée le 31 Mai 2014 à 8:46 . Elle est classée dans Uncategorized et taguée , , , , , , , , , , , , , , , . Bookmarquez ce permalien. Suivre les commentaires de cet article par RSS.

20 réflexions sur “Colère : nom féminin

  1. Je voudrais un modèle pour homme, avec le même message en changeant simplement « mon » (dans « mon cul »), par « son ».

    Tu me dis dès que c’est possible ?

    • On aura des slogans spécial hommes, mais on a renoncé à la version que tu évoques… Parce qu’on voulait pas véhiculer l’idée que les femmes ont besoin d’un protecteur…
      On ne s’est pas encore fixées sur un slogan spécial mecs, mais on cherche ! Si t’as d’autres suggestions, hésite pas. Et merci, surtout !

    • Le , Palou a dit:

      Salut les filles, je trouve excellent ce slogan même si je ne suis pas du tout féministe !
      Ce qui ne m’empêche pas du tout de respecter les femmes ! 😉
      Mais je suis surpris, vous ne faites jamais allusions au type de personnes qui se permettent ce comportement !

  2. Wah. Bravo. Je reste toujours sur le cul en lisant ces réactions. Et j’essaie de me dire que je laisserai pas passer ça, si une femme se fait ainsi traiter, se sent ainsi en danger. J’espère mettre de côté l’individualisme et réagir, aider. Bref, tes photos sont toujours percutantes, tes mots aussi, et cette cause de même.

  3. Désespérant 😦 Mais cooles photos ❤

  4. Rhaaaaa, je suis fan. Des photos bien sûr (sérieusement, elles sont parfaites), mais aussi de la juste cause, et de la lutte à coup de slogans, de tee-shirts et de tote bag. Sacrément utile mais pacifiste tout comme il faut.
    TOUTES les filles que je connais ont une histoire comme celles-ci à raconter, de son propre vécu, mais aucun homme en revanche. C’est beau ce que vous faites, bravo.

  5. Pingback: [Blabla] Hey Mademoiselle ! Mademoiselle t'es trop bonne ! | Bleu Electrique

  6. Le , Aurélie a dit:

    Le mec en voiture était seul, vous étiez 10, vous auriez largement pu lui faire la peur de sa vie… Dommage, d’autant plus qu’avec ce genre de naze il n’y a que ça qui marche! Porter des tshirts à message c’est bien, mais oser répliquer en live c’est encore mieux…

  7. Le , Aurélie a dit:

    Effectivement, il faut mieux qu’il voit son papa menacer et insulter les filles dans la rue en toute impunité! Un futur harceleur de plus…. Désolée mais je persiste à penser que votre initiative de création de tshirts à message, bien que fort louable au demeurant, reste dérisoire si vous n’osez pas réagir en live, c’est tout 😦

    • Je n’ai pas dit que nous avions baissé la tête en tremblant. Juste, au bout d’un moment, effectivement, on n’est pas allées à la bagarre, effectivement.

      Il ne faut pas s’en faire pour nous, nous agissons. Mais il y a des situations moins faciles que d’autres et nous avons tâché de faire au mieux, compte tenu de nombreux paramètres. C’est toujours difficile de tout raconter a posteriori… Tout comme ça l’est de juger sur un récit forcément parcellaire.

      Mais dans l’absolu, je suis fortement d’accord avec toi, et j’essaie moi-même de réagir au maximum, de la meilleure façon possible, quand j’ai des problèmes dans la rue. Pour moi, pour leur montrer qu’on ne peut pas emmerder tout le monde en toute impunité, pour montrer aux autres filles qu’on a le droit de réagir, pour faire prendre conscience aux passants qu’il y a un problème…

    • Le , Jeune femme au geste impoli a dit:

      Salut Aurélie. Je suis directement concernée donc je me permet de te répondre. J’ai fait un doigt d’honneur au bonhomme, ensuite il m’a menacé de me « fracasser et de me cogner jusqu’à ce que [je] crève ». C’est assez loin d’être ma première altercation de ce genre, j’ai fait des années de sports de combat pour pallier à tout ça, et je ne me laisse pas marcher sur les pieds, je n’hésite pas à répondre et je me suis battue chaque fois que c’était nécessaire à ma défense. En revanche, c’est la première fois qu’on me menaçait de mort avec autant de franchise, d’insistance et de persévérance.

      Par le passé, je me serais jetée sur lui mais désormais j’essaie d’agir un peu plus intelligemment pour ne pas mettre les personnes de mon entourage en danger. On était 10, mais peut être que lui, il connaissait 20 mecs qui pouvaient débouler dans la minute. Vu la capacité du type à me menacer devant son gosse, il n’aurait pas eu de scrupule à me cogner devant son gosse.

      Alors t’es bien gentille, on fait ce qu’on peut à notre échelle, mais on est loin de se placer en amazones castratrices. C’est pas en créant une asso que nos forces physiques sont décuplées, que notre bon sens disparait et que nos messages sont systématiquement entendus et compris. Au fil des agressions, j’ai (malheureusement) dû apprendre à évaluer le danger avant d’agir impulsivement et me fourrer dans une situation pire qu’auparavant.

      J’aurai bien aimé te voir « lui faire la peur de sa vie » et empêcher « un futur harceleur de plus ». Merci pour ta fatalité, ta vision immuable de la situation, et tes remarques constructives. Un message comme le tien me dégoûte. C’est inadmissible de juger la réaction d’une victime comme tu le fais, en plus d’être totalement inutile.

      • Le , alexiellle a dit:

        Je n’étais pas là, je ne peux donc pas deviner les détails non mentionnés de l’altercation. Je ne juge pas « la réaction d’une victime », je réagis seulement à la manière dont les évènements sont présentés dans cet article, et je suis juste un peu perplexe face à l’écart entre la virulence du message véhiculé (« ta main sur mon cul ma main sur ta gueule », c’est bien vous qui le dites et ce n’est tout de même pas anodin), et les réactions des filles telles qu’elles sont racontées dans l’articles, plutôt timorées, et pas seulement à propos de mec avec son fils, il y a aussi le cas des mecs en voiture: « Regard noir de ma part, je n’ose évidemment pas faire plus… »: et pourquoi pas?… On peut très bien marquer sa désapprobation sans se mettre en danger (voire le super post de projet crocodile sur le sujet http://projetcrocodiles.tumblr.com/post/78830110539/le-site-hollaback-clic-avec-sa-page-comment ). Je ne trouve pas que cela fasse avancer les choses de transmettre ainsi cette idée qu’une fille ne doit pas répliquer. Encore une fois, je ne juge pas les réactions des victimes de façon personnelle, je suis juste gênée par le double discours de cet article « on veut faire changer les choses, on porte des tshirts avec des messages de fighteuse, mais surtout, on ne réagit pas trop quand on est confrontées aux situations qu’on veut dénoncer ». Bref… Je suis néanmoins rassurée de voir que tu as retrouvé toute ta virulence pour me dire que mon message te « dégoutait », et était « inadmissible et inutile »

      • Alexiellle/Aurélie : Ce qui est formidable, en fait, c’est qu’on est d’accord dans le fond.
        « Je n’étais pas là, je ne peux donc pas deviner les détails non mentionnés de l’altercation. »
        On est d’accord.
        « On peut très bien marquer sa désapprobation sans se mettre en danger »
        On est d’accord. Pardon d’avoir été occupée à mettre mes chaussures, d’être encore sous le choc de la violence précédente, pardon de ne pas avoir eu une répartie éclair lors d’un incident d’une seconde.
        On est d’accord aussi, comme je te le disais, sur le fait qu’il ne faut pas se laisser faire.
        Et toi, tu sais sûrement que chaque situation est différente et qu’on ne peut pas toujours avoir la réaction idéale, compte tenu de tous les paramètres qui entrent en jeu.

        En fait, ça serait super que tu arrives à reconnaître que tu t’es un poil emportée sans savoir, sur ce coup-là, mais qu’en fait c’est pas grave, et que dans le fond on pense la même chose.

  8. pour mes filles, j’en veux!

  9. Le , Stéphane a dit:

    Belles photos! Tout mon soutien à votre démarche, je suis impatient de pouvoir porter un de ces futurs t-shirts « pour hommes ». Je crois que tu connais Myroie, qui relaie pleins de bonnes choses sur son tumblr egalitariste, je suis sûr qu’il y a là-bas des formules adéquates pour de pures punchlines.

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